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En Nouvelle-Zélande, une loi sur les travailleurs du cinéma et de la télévision

2 avril 2023 -

En octobre 2022, le parlement néo-zélandais a adopté une loi sur les travailleurs du cinéma et de la télévision, nommée le Screen Industry Workers Act. Celle-ci ouvre la voie à la négociation collective pour les entrepreneurs du secteur en Nouvelle-Zélande. La loi prévoit un cadre, premièrement, pour négocier une convention collective qui fixera les salaires minimums et les conditions de travail pour les professionnels actifs dans la production télévisuelle et cinématographique dans le pays et, deuxièmement, pour permettre de négocier des conventions collectives supplémentaires de  « deuxième niveau » avec des entreprises ou des maisons de production individuelles.

Ce texte de loi, dont la genèse s’est étalée sur quatre ans, est le résultat d’un lobbying intensif de la part d’Equity New Zealand et d’autres syndicats. Elle fait suite aux efforts du Groupe de travail tripartite sur l’industrie cinématographique fondé organisé par le gouvernement. Réunissant des producteurs du secteur, des syndicats et les pouvoirs publics, ce groupe a formulé une série de recommandations par consensus qui ont jeté les bases de la loi.

La loi sur les travailleurs du secteur du cinéma et de la télévision est la première en Nouvelle-Zélande à accorder aux travailleurs engagés dans des relations de travail atypiques le droit de négocier collectivement. En outre, elle corrige quelque peu les injustices de la loi modificative de 2010 sur les relations du travail (concernant la production cinématographique). Plus connue sous le nom de « loi Hobbit », elle excluait de la négociation collective les travailleurs du secteur du cinéma et de la télévision en les classant dans la catégorie des entrepreneurs indépendants, leur ôtant les droits garantis aux autres travailleurs par la législation néo-zélandaise.

La loi Hobbit est tristement célèbre pour avoir été passée en contournant les processus législatifs démocratiques habituels au parlement néo-zélandais. Elle avait été adoptée en urgence le surlendemain de la rencontre du Premier ministre de l’époque, Sir John Key, avec les dirigeants des studios de cinéma Warner Brothers et le producteur Sir Peter Jackson. Cette législation faisait suite aux tentatives du syndicat local des acteurs (aujourd’hui appelé Equity New Zealand), soutenu par certains syndicats internationaux d’acteurs, en vue de négocier de meilleurs salaires et de meilleures conditions d’embauche pour les artistes interprètes néo-zélandais engagés dans la production du film Le Hobbit. Ces tentatives se sont heurtées à une forte résistance de la part du producteur, qui a refusé de rencontrer le syndicat.

La loi Hobbit n’est pas un phénomène isolé. Son adoption marque seulement une nouvelle étape dans la déréglementation néolibérale du système des relations du travail en Nouvelle-Zélande, initiée à la fin des années 1980, et poursuivie à travers les réformes des relations sociales introduites par la loi sur les contrats de travail de 1991. Cette législation revenait à casser le système d’attribution – dans lequel les employés de groupes et de secteurs professionnels entiers disposaient de droits minimums acquis par la négociation collective entre syndicats et employeurs – et la remplacer par la négociation au niveau de l’entreprise et des contrats individuels.

Depuis l’introduction de la loi de 1991, le taux de syndicalisation et les effectifs ont considérablement diminué en Nouvelle-Zélande. Selon les chiffres de l’OCDE, le pourcentage de travailleurs syndiqués en Nouvelle-Zélande était de 17,7 % en 2017 (date des derniers chiffres), alors qu’il était de 42 % en 1991. Parallèlement, le nombre de travailleurs indépendants a augmenté. La dernière enquête sur le marché du travail réalisée par le ministère néo-zélandais des Statistiques en décembre 2022 fait état de 369 100 travailleurs indépendants dans le pays, soit 28,28 % de la population active actuelle.

Pour les artistes interprètes et pour beaucoup d’autres travailleurs en Nouvelle-Zélande, cela s’est traduit par une stagnation des revenus et une insécurité croissante de l’emploi au cours des 20 à 30 dernières années. Cette loi a également eu pour effet d’accentuer les inégalités et les injustices sociales. Le gouvernement actuel a reconnu ces injustices dans une certaine mesure ; outre l’introduction de la loi sur les travailleurs du secteur du cinéma et de la télévision l’année dernière, il a adopté une loi sur des conventions salariales équitables (Fair Pay Agreements Act).

Cette dernière rétablit la capacité des syndicats à négocier des conventions collectives sectorielles, principalement pour les travailleurs du secteur des services, qui sont vulnérables à la précarisation.
Étant donné les conditions difficiles pour les travailleurs du cinéma et de la télévision ces dernières décennies, la réaction de nombreux syndicats, dont celui des artistes-interprètes Equity New Zealand, a été de recruter. Près de 80 % des membres d’Equity New Zealand gagnent bien moins que le salaire minimum de 42 000 dollars par an pour leur travail de représentation en tant que prestataires indépendants.

Cependant, l’effectif du syndicat a augmenté depuis et il s’est stabilisé aux alentours des 1 000 membres, ce qui en fait la plus grande association du secteur de la création. Le taux de participation aux activités syndicales est élevé (près des deux tiers des propositions faites au parlement néo-zélandais concernant les travailleurs du cinéma et de la télévision émanent des artistes interprètes) et, malgré les restrictions sur la négociation, le syndicat et ses membres sont parvenus à influencer les conditions de travail dans la plupart des domaines du métier.

C’est-à-dire par l’élaboration de contrats types, de lignes directrices et de politiques de meilleures pratiques qui ont été adoptées volontairement pour la production de contenu cinématographique et télévisuel, ainsi que pour le théâtre vivant. Citons par exemple des modèles de contrat standardisés, des lignes directrices pour les castings et des lignes directrices pour l’intimité sur la scène et à l’écran.

La loi sur les travailleurs du secteur du cinéma et de la télévision, entrée en vigueur le 31 décembre 2022, offre les premières protections pour cette catégorie depuis très longtemps. Ces protections comprennent des clauses contre la violence, la discrimination, le harcèlement et les licenciements abusifs des contrats qui devront obligatoirement figurer dans tous les contrats des travailleurs du secteur à partir du début de cette année.

Malgré ces protections, la loi a essuyé des critiques parce qu’elle interdit le droit de grève et ne rétablit pas le droit pour un travailleur de contester son statut d’entrepreneur indépendant, ce qui maintient le processus d’exclusion de la loi Hobbit. Les exigences en matière d’exclusion ont été imposées par certains travailleurs du secteur cinématographique, tandis que la limitation des actions de grève a été exigée par le gouvernement lors de la mise en place des paramètres du Groupe de travail sur l’industrie cinématographique.

Il s’agissait de présenter le secteur de l’écran comme stable sur le plan social afin d’attirer les investissements à l’étranger. La limitation du droit de grève pendant la négociation est quelque peu compensée par le principe de bonne foi dans les relations sur le lieu de travail et au cours dans la négociation. À cela s’ajoute la possibilité d’accéder à la médiation, à la facilitation ou à l’arbitrage supervisés par l’autorité gouvernementale chargée des relations du travail. La suppression du droit de grève est également une caractéristique du Fair Pay Agreement.

Equity se prépare pour des négociations qui affecteront tout le secteur. Il a en effet mis en place un programme de recrutement, de syndicalisation et de formation des membres pour soutenir la négociation. Nous prévoyons d’entamer les négociations bien avant la fin de l’année.

En attendant, la loi constitue un modèle facilement adaptable pour donner aux travailleurs atypiques d’autres secteurs de meilleurs droits en matière de travail. En décembre 2021, un autre groupe de travail tripartite a remis au gouvernement des recommandations en vue d’améliorer les droits au travail des entrepreneurs et à clarifier leur classification. Le gouvernement n’y a cependant pas encore donné suite.

Pendant ce temps, des actions en droit du travail font jurisprudence. Ainsi l’an dernier, des chauffeurs de la société de covoiturage Uber ont notamment eu gain de cause devant le tribunal du travail qui a déterminé qu’ils étaient des salariés et non de véritables entrepreneurs. Cette affaire fait néanmoins l’objet d’un appel devant la Cour suprême pour une décision finale.

 


Références

The Screen Industry Workers Act
https://www.mbie.govt.nz/business-and-employment/employment-and-skills/employment-legislation-reviews/workplace-relations-in-the-screen-sector/information-about-the-screen-industry-workers-bill-act-2022/
https://www.legislation.govt.nz/act/public/2022/0052/latest/LMS230343.html

Loi Hobbit, un historique
https://www.nzjournal.org/NZJER36%283%29.pdf

Statistiques du marché du travail néo-zélandais
https://www.mbie.govt.nz/business-and-employment/employment-and-skills/labour-market-reports-data-and-analysis/monthly-labour-market-fact-sheet/

Effectifs syndicaux dans l’OCDE
https://stats.oecd.org/Index.aspx?DataSetCode=TUD

Recommandations du Groupe de travail sur l’industrie cinématographique
https://www.mbie.govt.nz/assets/4c8ac9afb6/recommendations-of-film-industry-working-group-to-government.pdf

Document de discussion pour la consultation 2019-2020 sur l’amélioration de la protection des entrepreneurs
https://www.mbie.govt.nz/dmsdocument/7375-better-protections-for-contractors-discussion-document-for-public-feedback

Recommandations du groupe de travail tripartite Déc. 2021
https://www.mbie.govt.nz/assets/tripartite-working-group-on-better-protections-for-contractors-december-2021.pdf

Action des chauffeurs Uber
https://www.stuff.co.nz/business/129692946/employment-court-rules-four-uber-drivers-are-employees

A propos de l'auteur

Denise Roche

Denise Roche est la directrice du syndicat des artistes professionnels Equity Nouvelle Zélande.  Elle est diplômée en journalisme, en relations industrielles et en gestion d'organisations à but non lucratif. Elle a été élue au niveau local et en tant que membre du Parlement pour le parti Vert.  Son expérience du mouvement syndical s'étend sur plus de vingt ans durant lesquels elle a été organisatrice syndicale, défenseuse des droits, éducatrice et stratège pour un certain nombre de syndicats néo-zélandais.

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